Films de danse

En 1951 et 1952, Jean Benoit-Lévy réalise 26 ballets pour la télévision française. Ses films de danse ont comme spécificité d’être uniquement destinés à une diffusion à la télévision. Ainsi, il travaille avec de grands chorégraphes comme Serge Lifar et des étoiles de la danse. Claude Bessy, Yvette Chauviré et Mia Slavenska en font partie. Ces castings grandioses contribuent à faire connaître la danse au grand public. La liste des films de danse réalisés pour la majorité entre 1947 et 1951 renvoient également au succès du film La Mort du Cygne que Jean Benoit-Lévy réalisa dix ans plus tôt, en 1936-1937 et dans lequel on peut voir Maurice Baquet, Mia Slavenska, Mady Berry, Micheline Boudet, Janine Charrat, Yvette Chauviré, France Ellis, Claire Gérard, Zizi Jeanmaire, Léone Mail et bien d’autres… Le célèbre photographe Marc Riboud fut l’un des acteurs des coulisses des tournages des films de ballet: ses photos de tournage contribuent à la mémoire des films de Jean Benoit-Lévy. Interviewé par Fernand Mercier dans les Cahiers de la Danse, en 1958, Jean Benoit-Lévy explique la trilogie musique, danse et cinéma: Il déclare « Il y a plusieurs manières de considérer l’interprétation de la danse au cinéma, soit par un enregistrement au petit bonheur, soit en étudiant minutieusement et en interprétant les intentions du choréauteur aussi bien que celles du musicien. Ainsi on arrive à une trilogie qui réunit dans une heureuse combinaison, trois arts faits pour être associés: la musique, la danse et le cinéma. » Il revient également sur la notion « d’amour du métier » qui fonde « l’idée force » du film La Mort du Cygne.

Un Maître d’œuvre: Jean Benoit-Lévy

par Fernand Mercier in Cahiers de la Danse, mars-avril 1958 -Pâques, « Revue mensuelle internationale de recherches, d’esthétique, de critique et d’information » L’époque que nous vivons est une bien curieuse époque. Le moindre geste des vedettes de cinéma (ou soit-disant telles), le plus petit déplacement de la plus inconnue des starlettes sont prétextes à enregistrement sur pellicule. Le chanteur dont la voix ne dépasse pas la banalité, les voix les plus sirupeuses, sans personnalité, se gravent sur des millions de disques que s’arrache un public avide de « nouveautés ». Mais, la danse, Art majeur, ne se permet que quelques sorties clandestines. C’est presque en cachette que des artistes, des metteurs en scènes osent nous livrer de véritables chefs-d’œuvre comme « Chaussons Rouges », « French Cancan », et la sublime « Mort du Cygne ». Ce dernier film signé par un homme de goût sûr et raffiné est l’œuvre maîtresse de Jean Benoit-Lévy. Je me souviens des minutes d’intense émotion ressenties lors de la projection de ce film. Je me rappelle de la joie intense éprouvée par la vision de la belle Mia Slavenska, de sa jeune partenaire déjà en possession de son merveilleux talent, Janine Charrat et de celle qui devint la grande Yvette Chauviré. J’ai revu Jean Benoit-Lévy. Son amour pour l’art chorégraphique et pour le cinéma est toujours aussi grand, aussi passionné.

JBL - Les films sur la danse, me dit ce grand metteur en scène, ne se traitent qu’avec mesure et précaution. Lorsque j’ai tourné « La Mort du cygne » j’ai essayé de servir la danse et l’auteur du ballet par ma technique. Un film de ce genre doit être conçu et mieux que n’importe quel autre film.

JBL - Il faut, et cela est primordial, prendre les séquences une à une, les travailler, les étudier, les disséquer. L’entente doit être parfaite entre le librettiste, le chorégraphe, le musicien et le metteur en scène. Chaque plan doit être mis au point individuellement, placé dans son cadre précis. Si ces conditions ne sont pas observées, il est presque certain que nous obtiendrons un film, mais sûrement pas un long métrage de qualité servant une cause précise.

FM - Le cinéma est un art aux possibilités immense. Pensez-vous qu’il puisse réussir à maintenir les traditions?

JBL - L’expérience qui résulte de mes essais concernant la danse et le cinéma n’est d’ailleurs pas polyvalente, car il n’existe pas de technique rigide. La danse comme le cinéma, comprend différents genres qui vont de la danse folklorique jusqu’à la danse classique et, pour chacun, il faut que la technique trouve à s’adapter pour mieux les servir. Je ne vous parlerai que d’un genre, c’est-à-dire des ballets classiques, soit adaptés, soit généraux. Tout d’abord, comment suis-je venu à essayer de servir la danse à l’aide de mon propre moyen d’expression: le cinématographe?

JBL - Pour faire un film, j’ai besoin de trouver une idée force qui la justifiera et qui me permettra d’acquérir la foi nécessaire à toute création artistique. Le choix de cette idée force est d’ailleurs conforme à la loi qui régit toute création artistique, puisque c’est le « choix » qui commande cette création. Le choix de l’idée constitue donc la base même de l’œuvre à créer. En l’occurrence, (La Mort du Cygne), l’idée force que j’avais choisie pour faire un film était l’amour du métier. Cet amour du métier qui à mon sens, commande pour l’individu toute sa vie professionnelle et sociale, sera la condition même de son bonheur. Cet amour du métier, je savais qu’il existait et qu’il était développé au suprême degré chez les danseurs puisque ceux-ci servent avec passion et exclusivité, si je puis dire, un art dont la pratique est éphémère.

FM - Comment avez-vous choisi votre sujet et vos interprètes?

JBL - Le sujet, je l’ai trouvé dans une courte nouvelle de Paul Morand, dont j’ai conservé le titre: « La Mort du cygne ». Pour les interprètes, je courais les studios de danse avec Serge Lifar à la recherche d’artistes correspondant aux personnages. Pour les rôles d’étoiles, pas de contestation possible: Mia Slavenska et Yvette Chauviré. Pour la petite fille, cela n’allait pas aussi facilement. Cependant, un jour, nous avons remarqué un petit bout de femme de douze ans au talent naissant, mais qui n’avait jamais fait de classique bien qu’elle travaillât sous la direction de Mmes Préobrajenska et Egorova, une fillette inconnue: Janine Charrat. Vous connaissez la suite, depuis, elle a tourné huit films de danse pour la télévision américaine, sans compter de nombreux succès sur la scène. Revenons au film…Lorsqu’après de nombreux mois de campagne habituelle, j’eus enfin trouvé un producteur, je me suis mis au travail. Comme toujours, j’ai commencé par l’étude du milieu. Ce milieu est le bouillon de culture indispensable dans lequel germe l’idée qui prendra la forme d’une construction dramatique, mais que l’on rendra réelle, que l’on fera vivre, des personnages qui, jusqu’à ce moment-là, ne nous sont apparus qu’à travers un subconscient nébuleux.

JBL - C’est à ce moment que je me trouve dans le véritable sujet. Il y a plusieurs manières de considérer l’interprétation de la danse au cinéma, soit par un enregistrement au petit bonheur, soit en étudiant minutieusement et en interprétant les intentions du choréauteur aussi bien que celles du musicien. Ainsi on arrive à une trilogie qui réunit dans une heureuse combinaison, trois arts faits pour être associés: la musique, la dans et le cinéma.

FM - Pensez-vous, qu’il ne soit pas nécessaire de filmer tous les ballets importants pour en conserver la chorégraphie originale?

JBL -Si, à condition de choisir parmi les œuvres les plus importantes du répertoire. Du reste, Mlle Léone Mail le fait à titre privé sur des films de 16 mm. Je crois que l’Opéra avait également l’intention d’imiter la Comédie Française, tout au moins au sujet des ballets présentés au Palais Garnier.

FM -Il n’a été, je crois, donné aucune suite à ce projet, les dépenses étant trop élevées.

JBL - L’art du cinéma est arrivé à une certaine perfection à la suite des recherches effectuées par les auteurs de films, et je pense que la trilogie de la musique, de la danse et du cinéma a atteint une maturité pleine de promesses.

FM - Que pensez-vous des films chorégraphiques tournés pour la télévision?

JBL - Je crois que la télévision ne commencera véritablement à être ce moyen d’expression nouveau que lorsqu’on aura compris que tous les autres arts du spectacle doivent coopérer à des recherches multiples pour arriver à se fondre chacun dans ce qui constituera peut-être un jour le spectacle parfait. Les recherches des moyens techniques pour présenter la danse à la télévision à partir du cinéma ne font en réalité que commencer. Si l’on a conscience de la responsabilité que l’on a vis-à-vis de Terpsichore, on se rendra compte, en même temps, de la facilité qu’il y a, si l’on n’y prend garde, à trahir cet art merveilleux. En plus de tous les problèmes qui se posent pour le cinéma, il y a pour la télévision les problèmes majeurs de la lumière et du cadrage. Pour la télévision, nous faisons le même travail que pour le cinéma: ajuster la musique à des séquences individuelles. Puis nous enregistrons cette musique. Nous avons, ma collaboratrice, Marie Epstein, et moi, tenu compte pour ce travail de conception et de préparation, des exigences du cadre de la télévision, ainsi que des couleurs interdites. Nous avons, alors, réalisé nos films en studio au moyen de « playback » et, de la même façon que j’aurais réalisé un grand film, mais avec le souci constant de garder les personnages et surtout les mouvements de danse dans le cadre de l’écran de la télévision. Voici donc le fruit de mes expériences, mais je voudrais que vous compreniez que faire des films de danse est une chose difficile et sérieuse. A l’heure actuelle, je cherche un sujet pour le cinéma dans le genre de « La Mort du Cygne » c’est-à-dire un sujet glorifiant l’art chorégraphique. Là ne s’arrête pas la seule difficulté car, même si je trouve ce sujet, il me faudra trouver des producteurs et, dans l’état actuel du cinéma, les vrais producteurs sont les…distributeurs, à qui il faut des vedettes choisies, connues, commerciales. FM: Nous partageons l’opinion de M. Jean Benoit-Lévy et regrettons que tant de navets soient affichés, alors qu’un seul film de la classe de « La Mort du Cygne » a fait plus pour la danse, que des centaines de films…, dont nous tairons les titres, n’ont servi l’art dramatique ou la comédie.

Fernand Mercier

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